La collection d’un hôtel
Comment se peut-il qu’un hôtel offre de telles instances de méditation, furtives, mais avec toujours cette pointe de grâce qui tient lieu de choc visuel? On le doit a la détermination tranquille, au regard enveloppant, accueillant, de Gérard Berrut. Ce regard comme l’esprit toujours emprunts d’une grande précision, une manière très personnelle et discrète de conjuguer deux termes antinomique : la rigueur et le quotidien.
Ainsi, l’hôte, le manager, le décorateur au meilleur sens du terme fait œuvre. La tradition de l’accueil suisse et familiale s’accompagne d’une modernité de l’activité visuelle, loin des formes attendues ou provocantes du design, il y a un peu de l’architecte dans cette invitation au regard. Le regard est précisément ce qu’il partage avec ses clients disant toute l’attention qu’il porte à leur plaisir dans le confort de l’hôtel tandis qu’aucune concession n’est faite pour les tableaux aux faux voyages et aux harmonies de surface.
L’acquisition d’une œuvre est pour lui celle d’une connaissance, n’est-ce pas là une bonne définition du patrimoine? C’est ainsi que ces tableaux et dessins, espaces mesurés d’un mouvement contemplatif, à travers la question de goût, permettent d’accéder aux propos. On peut alors chercher et rencontrer l’œil d’un autre qui vous guide et sache, pour vous, arrêter le cours de l’indifférence respectueuse qui recouvre un certain art tout aussi moderne qu’il est classique et dont la France est le creuset alchimique.
Cet œil, vous conduit devant « La Rivière » d’André Beaudin et la rigueur de ses plans lumineux, devant une stèle de Raoul Ubac, sillon de nature verticale, que l’on retrouve dans une autre version au Musée des Beaux-Arts de Caen, devant un dessin vénitien de Zoran Music, icône absolue du temps suspendu parce que l’espace, griffé sans la moindre violence, se déploie hors des circonstances.
Cet œil incitateur fut pendant longtemps celui de Jacques Rouland, le galeriste de la rue de la Boétie, jusqu’à ce que le collectionneur laisse son regard s’envoler seul. Personnage forgé puis construit dans un matériau de l’art roman comme sa maison dans la Creuse, mythe local, dans ce quartier qui fut dès le début du XXème siècle le triangle d’or de la circulation des formes et des idées avant et après-guerre. Un œil de cinéaste qui dégage les formes peintes, un conteur d’art merveilleux dans la révélation des fantômes clairs qui circulent dans certains tableaux : ceux qui naissent dans la complexité des trames brumeuses de Zoran Music comme ceux qui glissent entre les plans d’une poétique du silence morandienne dont l’écho se retrouve dans les paysages de Gérard de Palézieux. Cet œil est aussi celui de l’ami qui fait circuler l’affection entre les peintres, les collectionneurs, les conservateurs et parfois les critiques.
Dans la complicité de l’oeil de l’un et du regard de l’autre sont venus les pastels de Maria Sepiol, mémoires implacables de l’épiderme toscan, les peintures de Farhad Ostovani, paysages comme des terres d’exil qui vinrent nourrir les multiples croisements de pensées nés d’une origine sans date avec le regretté Bernard Blatter, ancien conservateur du Musée Jenisch à Vevey, le poète Yves Bonnefoy que l’on retrouvera autour de l’œuvre de Miklos Bokor. Les entre-lacs de Sam Szafran créent les liens avec Léonard Gianadda, comme François Ditesheim, ce fomenteur de circonstance talentueuse, lui fit connaître Rolf lseli et André Evrard.
Ce petit monde a toute la grandeur d’un projet artistique, il est de ceux que l’on aimerait rencontrer plus souvent, inscrit dans les voyages de la vie. L’esthétique qui l’anime est d’un naturalisme exigeant qui ne craint pas les fulgurances dont on découvre, au détour d’un couloir, les impressionnantes chairs de roches de Miklos Bokor.
Alain Tapié
Conservateur en chef du Musée des Beaux-Arts de Lille.
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